blés anciens

Il y a une référence à laquelle je me réfère volontiers en matière d'alternative agriculturelle. Son approche m'a ouvert des horizons insoupçonnés et sa Révolution d'un seul brin de paille a sa place sur ma table de chevet : j'ai parlé de Masanobu Fukuoka.

Sans prétention aucune, je voudrais vous parler de ma petite révolution à moi. On pourrait l'appeler la Révolution d'un seul brin de blé ancien.
Regardez-le bien, ce blé ancien. Il a tous les défauts :

blés anciens
  • Ses épis ne sont pas très fournis, pas bon pour le rendement.
  • Les tiges sont trop longues, elles versent, elles cassent, elles ne se tiennent pas au garde-à-vous au passage de la moissonneuse, pas bon pour le rendement
  • Il n'apprécie pas les traitements ni les engrais chimiques, pas bon pour le rendement.
  • Ça ne se voit pas à l'oeil nu, mais il est faiblard en taux et en qualité de gluten, personne n'en voudrait, ni les bêtes, ni le pain.
D'ailleurs, en agriculture conventionnelle, personne n'en veut. Parce que ce n'est pas tout, vraiment, il les accumule :
  • Ses semences ne sont pas inscrites au catalogue. Eh non ! Elles ne répondent pas aux critères d'uniformité et de stabilité génétique exigés. Elles n'entrent pas dans les cases du tableau !
  • Du coup elles n'intéressent pas du tout l'industrie semencière.
  • Elles se reproduisent toutes seules et gratuitement, c'est quand-même un comble !
La vraie révolution, ce n'est pas de brandir armes et banderoles. Avez-vous déjà entendu que la voix d'un brin de paille fasse tourner la tête à un énarque ? Même s'il s'agit, au final, de la survie de l'humanité entière.

Les 180°, je les fais moi-même, c'est beaucoup plus sûr, car qui est mieux placé pour répondre aux impulsions de ma concience ?

Ces anciens blés, ressortis des armoires où quelques bonnes âmes ont eu la bonne idée de les mettre à l'abri - au cas où -, pleins de la vie, de l'arôme, du caractère de leur terre d'origine, font partie du patrimoine du monde nouveau. Ils sont un peu les enfants de Noé.

  • Semés chaque année à partir de la récolte précédente, ils s'adaptent admirablement à l'environnement, ils mutent doucement, les plus faibles cèdent la place aux plus costauds, ceux-ci récupèrent certaines qualités de leurs congénères disparus et la résultante de ces croisements naturels est toujours la meilleure pour l'endroit et le moment présent. Quelle sagesse !
  • Ils sont tellement à l'aise dans leurs racines qu'ils sont peu sensibles aux maladies, exactement comme les gens du terroir. Ils n'ont pas non plus besoin d'engrais car ils sont l'exact produit de la terre qui les a enfantés et élévés : ils sont en symbiose.
  • Leur paille, parfois d'une belle hauteur, est loin d'être un rebus : les sols en profitent, elle les protège et les nourrit à la fois, si on la laisse sur les champs après la moisson. Les hommes s'en servent aussi, ils se construisent de belles, chaudes et agréables maisons avec ce matériau exceptionnel, cadeau de dame nature.
  • Leurs épis de toutes couleurs, de toutes formes, barbus ou pas, ronds ou pas, échappent au calibrage. Ils sont toute une belle variété, et demandent parfois de changer d'outils de récolte, de triage, de stockage. On sait qu'ils sont précieux. On les soigne, on les aime, ils donneront le meilleur d'eux-mêmes et ne seront pas bradés sur les marchés mondiaux.
  • Ils nous nourriront, de bonne grâce, parce que nous saurons en tirer le meilleur. La valeur de leurs grains réside non dans leur taux de gluten - seul critère de qualité pour les blés conventionnels destinés en partie - le saviez-vous ? - à l'alimentation animale planétaire -, ni dans l'extensibilité et la ténacité de leur gluten - critères absolus de l'industrie boulangère mondiale -, mais dans les arômes qu'ils recèlent et qu'une panification longue, attentive et délicate saura faire jaillir.
L'impact de cette approche sur les dysfonctionnements cautionnés de notre civilisation est déjà capital, mais il faut pourtant en remettre une louchée.
Ces Rouge de Bordeaux ou d'Alsace, Meunier du pays d'Apt, Miracle, Touzelle, Poulard, dont les seuls noms nous font rêver, ont une autre propriété que leurs jeunes frères ont perdu : celle de nous maintenir en santé.
Pour deux raisons principales :
  • ils sont cultivés en bio, et n’emmagasinent pas de pesticides ou autre chimie dans l'enveloppe de leurs grains, qui se retrouveraient dans votre farine ou vos pâtes.
  • leur gluten est non seulement moins présent, mais sa qualité originelle est compatible avec l'appareil digestif de l'être humain - de moins grosses molécules, contenant moins de gliadine, cause de bien des tourments chez les intolérants aux traficotages génétiques en faveur du porte-feuille de l'industrie agro-alimentaire.
Est-il besoin d'en dire plus ? Est-ce assez pour décider un homme à changer de braquet ? Est-ce assez pour tenter les autres de lui emboîter le pas ?

La marche silencieuse du paysan-meunier porteur de vie, porteur de liens, porteur d'espoir...